« On dit toujours vouloir laisser une meilleure planète à nos enfants. On devrait aussi penser à laisser de meilleurs enfants à la planète ! »

J’ai lu  cette citation pour la première fois sur Facebook et elle était attribuée à Clint Eastwood. Elle apparaît également sur Foozine et c’est aussi le titre d’un documentaire de France 5 sur Pierre Rabhi. Aujourd’hui, elle m’inspire cette réflexion et je me permets de la partager avec vous.

Penser à « laisser à nos enfants une planète en bon état » ou au fait que « Nos enfants nous accuseront », m’a toujours mise un peu mal à l’aise. Je sais bien que ces phrases évoquent la responsabilité des adultes vis-à-vis de la planète mais, personnellement, elles me suggèrent que les êtres humains en sont les maîtres et qu’ils la laisseront à leurs enfants comme qui laisse un patrimoine. Par contre, « laisser des meilleurs enfants à la planète » me fait penser au changement de l’être humain envers le monde et à la manière dont cette transformation s’opère.

Il y a quelques années seulement, j’ai entendu un politicien dire que les … se préoccupaient aussi de la nature, mais qu’à différence des …, ils la concevaient au service de l’être humain.

La nature n’est pas au service de l’humain ! Quelle idée ! Une idée qui dérive de la manière dont la modernité a évolué et qui, heureusement, est de plus en plus dépassée. Nous sommes de plus en plus nombreux à comprendre que l’être humain n’est pas le maître de la nature et que celle-ci a sa logique irréductible, ses lois inéluctables devant lesquelles nous ferions bien de nous incliner. En tant que créateurs de culture, les êtres humains peuvent agir sur la nature et la modifier mais pas à leur guise. Nous avons besoin de la nature pour vivre mais celle-ci se porte très bien sans nous. Nous avons tous été témoins de son exubérance et de sa vitalité lors du printemps 2020 pendant que nous étions confinés. Nous avons également été témoins des inondations et des incendies … La nature a un pouvoir incontournable sur nous !

Je trouve que le projet des Modernes était très beau et, surtout, une réponse magnifique à ce qu’ils vivaient à leur époque. Ces philosophes du XVIII siècle, révolutionnaires et indignés par l’absolutisme de l’Etat et de l’Eglise, ont guidé un mouvement international de réforme des institutions dont la science a été l’arme la plus puissante. La science moderne devait connaître la réalité en se souciant de critères de validation (contrairement à d’autres formes de connaissance et représentation de la réalité comme la religion, l’idéologie ou autres) et permettre de prolonger la vie, de soigner les maladies, d’accroître la production de nourriture, en gros, d’améliorer l’existence. Un pouvoir technique fabuleux et l’amélioration progressive et réfléchie de l’organisation politico-sociale l’ont suivie. Ces réussites ont accru la foi dans l’être humain et dans ses capacités. C’est à cette confiance en lui que se réfère l’humanisme.  La possibilité d’être conscient de soi-même et de fonder son propre destin deviendront des valeurs fondamentales et donneront lieu à l’individualisme comme forme culturelle. Ceci, néanmoins, ne devait pas nécessairement conduire à l’individualisme à outrance, démesuré, que nous avons connu ni au désinvestissement de la dimension sociale et politique de la vie, au contraire. Ce projet ne devait pas non plus mener irréductiblement à la destruction de la planète, ni à l’idéal d’une croissance infinie, ni au consumérisme effréné. Le « progrès » ne devait pas devenir un mythe totalitaire. Ce modèle ne devait même pas être universel.

Un grand nombre de philosophes et de spécialistes en sciences humaines et sociales ont analysé, infatigablement,  l’évolution de la modernité et ses conséquences sur la nature et sur la vie politique, économique, sociale et psychologique. Notre civilisation meure, c’est certain, et nous assistons à la naissance d’une autre. Dans cette foulée, certain(e)s essayent de revenir vers des valeurs humanistes en les ré-signifiant. Ainsi, par exemple, la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury dans Le soin est un humanisme considère que l’humanisme remet en cause la barbarie. Pour elle, la valeur de l’humain se situe dans le devoir de symbolisation et de sublimation, qui permet aux êtres humains de réguler leurs pulsions mortifères,  – parce que oui, l’histoire de l’évolution humaine nous montre, avec une clarté terrifiante,  que celles-ci sont irréductibles – et de bâtir une société qui allie liberté, autonomie, soin et solidarité, et qui donc protège les plus faibles et  les plus vulnérables.

On sait bien que les êtres humains sont capables du pire comme du meilleur et que c’est dans les situations d’impasse et de crise, comme celle qui nous traversons aujourd’hui, que cela se remarque le mieux. Jorge Semprun le dit dans Le grand voyage  à propos des camps de concentration: « dans les camps l’homme devient cet animal capable de voler le pain à un camarade, de le pousser vers la mort. Mais dans les camps l’homme devient aussi cet être invincible capable de partager jusqu’à son dernier mégot, jusqu’à son dernier souffle, pour soutenir les camarades… Réellement, on n’avait pas besoin des camps pour savoir que l’homme est l’être capable du meilleur et du pire. C’en est désolant de banalité, cette constatation. » (p. 72).

Le pire et le meilleur coexistent, au moins en puissance, chez une même personne. Le mal et le bien coulent de même source, disait Rousseau. Ce serait naïf et simpliste de croire qu’il y aurait les gentils d’un coté et les méchants de l’autre. Néanmoins, Donald Trump n’est pas Nelson Mandela et Adolphe Hitler n’est pas Mohandas Gandhi. Toutes les personnes n’ont pas la même générosité ni le même engagement vis-à-vis d’autrui. Il y a eu des résistants et des justes lors des génocides. Il y a des personnes remarquables qui s’insurgent contre la discrimination et l’injustice et il y a également des indifférents et des égoïstes.

Comment pouvons nous laisser des meilleurs enfants à la planète ? Et, tout d’abord, comment pouvons nous devenir des meilleures personnes?

La réponse est infiniment complexe. Des courants philosophiques et culturels, des sciences humaines et sociales ont construit des innombrables théories pour comprendre ce qui fait la construction d’un être humain, sa conduite et ses préférences. D’ailleurs, comme la planète, nos enfants ne nous appartiennent pas. On peut, bien sûr, les inculquer des valeurs,  leur donner un bon exemple, de l’amour et des repères identitaires ; c’est la moindre de choses.

L’idée que nous sommes tous le produit de notre histoire, plus précisément de la manière dont nous la vivons et l’interprétons, semble faire consensus, au moins en sciences humaines. Et notre histoire est toujours une histoire individuelle, immergée dans une histoire familiale, qui à sont tour est inscrite dans une histoire sociale et culturelle. Dans une plus ou moins grande mesure, nous sommes également les agents de notre vie. Par ailleurs, les individus « créateurs d’histoire » existent. Mais c’est parce que la différence et la singularité sont irréductibles qu’on ne peut pas établir des lois concernant l’humain. Rien est figé, tout peut changer. Des gros traumatismes dans la vie peuvent donner lieu à des sublimations magnifiques, à des bijoux d’existence. Ce qui est certain, c’est que pour s’engager dans des causes qui visent l’au-delà de soi-même et adhérer au changement, il faut que cela nous prenne aux tripes, qu’on considère que c’est vraiment notre affaire : la planète, la justice, la guerre, la souffrance d’autrui…

Hermann Hesse disait en 1971 : «  Rien au monde n’est pour moi objet de conviction aussi profonde, nulle idée ne m’est aussi sacrée que celle d’unité, l’idée que la totalité du monde est une unité divine et que toute la souffrance, tout le mal ne consistent en ceci que nous autres individus, nous ne nous éprouvons plus comme des parties indissolubles du Tout, que le moi s’accorde à lui même trop d’importance ».

Dans le même sens, Hemingway, dans son roman « Por quién doblan las campanas », met en exergue le poème de Jhon Doone : no man is an island entire of itself, every man is a piece of the continent, a part of the main ; if a clod be washed away by the sea, Europe is the less, as well as if a the promontory were, as well as any manor of thy friends or of thine own were ; any man’s dead diminishes me, beaause I am involved in mankind. And therefore never send to know for whome the bells tolls ; it tolls for thee.